Verville, Marie-Hélène (2024). Continuités et ruptures des soins dans les réseaux de services public-privés d’aide à domicile : une analyse féministe du travail de soins. Mémoire. Gatineau, Université du Québec en Outaouais, Département de relations industrielles, 343 p.
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Résumé
Au Québec, les réformes successives inspirées de la Nouvelle gestion publique se sont traduites par une externalisation croissante des services d’aide à domicile (SAD), que l’État organise en réseaux public-privés (Boivin, 2014, 2017, 2020). Historiquement, les travailleuses à l’emploi de l’établissement public et dispensant les SAD ont été les « yeux et oreilles du CLSC » au sein des domiciles où elles interviennent (Cloutier et al., 2005). Ce rôle est important. Un transfert d’information, de bonnes relations interpersonnelles et une coordination efficace permettent une continuité des soins auprès des patients (Reid et al., 2002). Cet élément est l’un des aspects importants constituant la qualité des soins. Aussi, l’une des particularités des SAD destinés aux personnes âgées est que les proches aidantes sont actives dans leur dispensation, car les soins offerts par ces personnes se situent à l’interface de la communauté dans laquelle se situe la famille et les ressources dispensées par l’État (Saillant, 1991). Dans ce mémoire qui est une étude de cas unique, nous nous demandons comment l’organisation des SAD en réseaux public-privés, impliquant proches aidantes et travailleuses, impacte sur la continuité/rupture des soins auprès des personnes âgées en perte d’autonomie. Le cadre d’analyse qui a servi à cette étude est majoritairement issu de recherches féministes intersectionnelles.
L’état de la continuité des soins dans les SAD comme élément de qualité des soins (le « résultat ») que nous décrivons dans ce mémoire est visible à travers les éléments de « processus » et les éléments « structuraux » touchant ces soins (Donabedian, 1988). Au plan des processus, en nous inspirant des ergonomes de l’activité (Daniellou, 2002), nous nous intéressons au travail de soins tel que planifié par l’établissement public (et décrit dans les plans de services individualisés) et le travail de soins non planifié, mais nécessaire à la mise en œuvre des SAD. C’est l’écart entre le travail prescrit et réel qui est porteur d’information. Sur le territoire étudié, nous constatons que la stabilité du personnel dans le cadre des SAD offerts conjointement par les travailleuses d’agence et celles employées par l’établissement public n’est pas garantie pour une personne usagère. Les travailleuses recourent à des stratégies servant à protéger la personne usagère et se déployant en dehors du plan de services individualisé. Ces stratégies permettent parfois aux travailleuses « d’être les yeux et les oreilles du CLSC » et d’offrir aux personnes usagères une continuité des soins dans les SAD, mais leur présence et leur fréquence sont fortement contraintes par leurs conditions de travail et d’emploi. Ces conditions sont en quelque sorte la « variable médiatrice » dans notre modèle d’analyse. Dans ce contexte, les proches aidantes sont non seulement interpellées de façon explicite pour fournir des soins permettant la mise en place du plan de services, mais doivent aussi se transformer en « sentinelles » des SAD. L’alternative qu’ont les proches aidantes et personnes usagères est que la dispensation des SAD s’effectue par le biais du programme d’allocation directe Chèque emploi-service (CES). Ce mode d’allocation directe vient avec un travail important de gestion qui incombe souvent aux proches aidantes en raison de la perte d’autonomie des personnes usagères. Il est complexifié par la nature des relations d’emploi « multipartites » du CES (Bernstein et al., 2009). Ce travail est nécessaire à toute continuité des soins dans le CES.
Pour analyser les éléments structuraux sous-jacents à l’état de la continuité des soins (Donabedian, 1988) dans les SAD, nous avons utilisé le modèle sociojuridique de Boivin (2014), qui nous amène à examiner les rapports de pouvoir dans l’organisation en réseaux des SAD. Nous nous sommes intéressée à l’exercice du pouvoir stratégique par l’organisation-cerveau, ici le ministère de la Santé et des Services sociaux et l’établissement public régional, soit le centre intégré universitaire de santé et de services sociaux (CIUSSS) de l’Est-de-l’Île-de-Montréal. Dans la dispensation des SAD, l’utilisation des marchés publics tels qu’ils sont encadrés juridiquement au Québec et les pratiques contractuelles de l’établissement public régional étudié limitent la possibilité pour ce dernier d’offrir une stabilité de personnel au sein des domiciles où se déploient ces services. Dans la dispensation des SAD offerts par les travailleuses d’agence et celles employées par l’établissement public régional, la « coordination du travail en réseau » s’appuie sur les plaintes que peuvent émettre les proches aidantes et les personnes usagères. L’alternative à cette modalité est le CES, la « coordination du travail en réseau » repose alors entièrement sur les épaules de ces personnes. La division sexuelle du travail dans les SAD en réseaux est ainsi visible à travers la responsabilisation des proches aidantes. Dans ces emplois majoritairement féminins, la division sexuelle et racisée du travail des SAD se déploie. Les travailleuses œuvrant dans les segments externalisés de l’organisation des SAD en réseaux sont aux prises avec une précarisation et une déqualification de leur emploi, encore plus prégnante pour les travailleuses racisées. L’ensemble des travailleuses ont subi une intensification et une dégradation des conditions de travail. Les manifestations idéelles de cette division du travail se manifestent entre autres à travers l’injonction au sacrifice qu’elles reçoivent (Grand, 1971) ou la négation de leurs connaissances spécifiques (Saillant, 1991). Cela limite leur capacité d’être « les yeux et les oreilles du CLSC » et constitue par le fait même une occasion ratée, car les travailleuses des SAD sont celles qui interviennent le plus souvent au sein d’un domicile. Les « résultats » de notre analyse nous permettent de constater que, dans les SAD offerts aux personnes âgées en perte d’autonomie sur le territoire étudié, la continuité des soins est mise à mal lorsqu’il y a une instabilité du personnel intervenant auprès d’elles, cela est visible à travers la fréquence des ruptures de soins. L’instabilité du personnel est caractéristique dans l’organisation en réseaux des SAD, alors que ces derniers sont offerts conjointement par les travailleuses d’agence et de l’établissement public. La stabilité du personnel dispensant des SAD se révèle une dimension importante de la continuité des soins pour les personnes âgées en perte d’autonomie, cette stabilité constituant un aspect central de la qualité des soins.
Type de document: | Thèse (Mémoire) |
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Directeur de mémoire/thèse: | Boivin, Louise |
Mots-clés libres: | Nouvelle gestion publique; Sous-traitance; Services d’aide à domicile; Auxiliaires; Continuité des soins; Ruptures de soins; Précarisation de l’emploi; Proche aidance; Intensification du travail; Marchés publics; Division sexuelle du travail; Soins de longue durée; Agence de location de personnel; Chèque emploi-service |
Départements et école, unités de recherche et services: | Relations industrielles |
Date de dépôt: | 12 févr. 2024 19:59 |
Dernière modification: | 12 févr. 2024 19:59 |
URI: | https://di.uqo.ca/id/eprint/1616 |
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